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Propos d'un ancien du SDECE
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27 février 2013

l'anti américanisme en France en 1979

      Jusqu’où l’anti américanisme pouvait-il aller ?

 

Début 1979, en consultant la « moisson » que les spécialistes des services d’écoute et d’interception divers avaient récoltée dans la journée, je découvrais un document insolite. Il s’agissait d’une offre de vente, « six armes nucléaires, opérationnelles, livrables dans un pays du Moyen Orient ».

Ma première réaction fut d’être incrédule, Paris, comme toutes les capitales occidentales, regorgeait de prétendus marchands d’armes, qui passaient leur vie au téléphone, et déclaraient détenir des chars, des avions, des bateaux en grande quantité. Les perquisitions entreprises montraient qu’ils ne possédaient qu’un téléphone et une machine à écrire. Ils jouaient en fait un rôle d’informateur pour les authentiques négociants en armement qui les entretenaient en leur faisant verser des commissions sur des marchés divers : alimentaires, pétrole… L’important, ce n’était pas celui qui offrait cent chars à la vente (qu’il n’avait pas), mais celui qui exprimait un besoin par son intérêt pour cette offre.

Dans les jours qui suivirent, je pris connaissance de deux offres identiques. Et ce qui me frappa était qu’elles étaient rédigées de la même manière, car toutes trois portaient sur :

-         six armes nucléaires opérationnelles,

-         livrables dans un pays du Moyen Orient.

Qui dit armes nucléaires opérationnelles dit armes munies d’un détonateur. Or ceci n’existait qu’à bord des avions porteurs d’une ou plusieurs bombes atomiques, qui, dans le camp occidental, assuraient la sécurité des alliés contre le bloc communiste, de l’Alaska à l’Inde côté Pacifique, et du Pôle Nord à la Turquie, côté européen. Restait à trouver quels appareils effectuaient ce genre de mission avec six armes.

Rapidement, je m’informai que les B56, qui assuraient la couverture Pacifique, emportaient 24 missiles N auto propulsés, tandis que côté rideau de fer, la mission était réalisée par des avions de l’OTAN, les XB70, surnommés Black Fire. Trois fois supersonique, cet avion était piloté par un équipage de trois hommes, et emportait six coups nucléaires.

Mais en vérifiant mes informations, je m’aperçus que les XB70 de l’OTAN n’emportaient que des bombes dépourvues de détonateur. Elles n’étaient donc pas opérationnelles. Je continuai de chercher, et découvris que les missions des XB70 de l’OTAN étaient doublées par celles des XB70 venant des Etats-Unis (avec ravitaillement en vol), qui, eux, étaient équipés de bombes munies de détonateurs.

C’étaient donc du côté des pilotes de Black Fire américains qu’il fallait chercher. Par exemple, un pilote noir musulman acquis à la cause arabe. Mais je savais aussi que les militaires qui réalisent ce genre de mission vivaient dans des bases isolées et faisaient l’objet d’une surveillance constante, y compris leurs communications téléphoniques, et le courrier qu’ils recevaient. Sitôt rentrés aux USA, il leur était quasiment impossible de prendre contact avec un pays ou une organisation terroriste sans être démasqué.

En même temps, j’imaginais que les missions OTAN constituaient un excellent moyen de formation pour les pilotes de XB70. Or, durant leur affectation en Europe, ces derniers côtoyaient des équipages européens et étaient soumis à une surveillance moins stricte qu’aux Etats-Unis.

J’en arrivai à la conclusion que, si pendant sa période probatoire à l’OTAN un futur pilote de Black Fire de l’US Army prenait des contacts avec une organisation ennemie ou terroriste (il suffisait de convenir d’un point de poser et d’une date), il lui était possible de livrer six armes nucléaires opérationnelles dans un pays du Moyen Orient. Avec la complicité de son équipage, il lui suffirait, à proximité de la Méditerranée, d’enclencher une procédure de détresse, de plonger vers la mer, de se récupérer au ras des flots pour échapper à  la couverture radar (la surveillance par satellite n’était pas à l’époque aussi développée que de nos jours), et de se poser quelque part en Libye ou en Algérie.

Mon analyse était suffisamment cohérente pour être crédible, et l’importance de l’enjeu imposait une réaction de notre part. Je demandai un entretien à mon chef de service (avec qui mes rapports n’étaient pas bons), qui fit la moue et me répondit que mon histoire ne tenait pas debout, que mes informations étaient illégales et qu’on ne pouvait pas en faire état…

Devant mon obstination à défendre ma volonté d’agir, il me mit au pied du mur en me demandant « que comptez-vous faire ? ».

Je répondis qu’il fallait aller très vite, que nous n’avions personne à l’OTAN pour régler cette affaire rapidement, et que le plus rapide était d’informer les Américains. Il eut alors cette réponse hallucinante « mais enfin, on ne va tout de même pas faire un cadeau aux Américains ! ».

J’objectai qu’officiellement les USA étaient nos alliés, et les Soviétiques nos ennemis, rien n’y fit.

Je trouvai alors l’argument qui allait faire mouche. Je lui fis remarquer que si Khadafi, Abou Daoud ou Yasser Arafat prenaient possession d’un Black Fire équipé de six coups nucléaires, les villes menacées ne seraient ni New York ni Washington, mais probablement Madrid, Marseille, Rome, Athènes ou Tel Aviv.

Puis je me dis que mon interlocuteur ne prendrait pas la décision à son niveau, mais qu’il la soumettrait à la réunion des chefs de service le lendemain. Je comprenais aussi que si ce supérieur était hostile « à l’idée de rendre service aux Américains », c’est que la majorité des chefs de service, et particulièrement le Directeur ou son représentant, l’étaient aussi.

En somme, je n’avais que quelques minutes pour convaincre quelqu’un qui ne m’appréciait pas, qui désapprouvait mon idée, de la défendre en Conseil du renseignement, contre l’avis de ses pairs et de ses supérieurs. Il fallait que je lui mette l’épée dans les reins. Alors j’ajoutai que si une ville du littoral méditerranéen était victime d’une attaque nucléaire suite à la disparition d’un XB70, ou simplement menacée par une attaque atomique, je me sentirais obligé, en mon âme et conscience, de rendre publique la volonté du Service de n’avoir pas voulu traiter cette affaire, et de témoigner à charge contre lui.

Le lendemain, j’étais autorisé à rédiger une fiche pour notre correspondant américain. J’aurais dû ne plus jamais entendre parler de cette affaire, puisque la gestion des échanges avec les Alliés appartenait à un organisme particulier.

Le hasard a voulu que je sois de permanence quelques jours plus tard. (L’officier de permanence était informé des messages qui parvenaient pendant la nuit.) J’eus à prendre connaissance d’une information de notre correspondant à Washington qui disait textuellement « je ne sais pas quelle mouche a encore piqué les Américains. Ils viennent de muter tous les noirs de leurs escadrilles de Black Fire. »

En ce qui me concerne, je n’ai plus jamais entendu parler de quelqu’un qui aurait six bombes nucléaires opérationnelles à vendre, livrables dans un pays du Moyen Orient.

L’année suivante, j’ai été inscrit dans la liste des officiers qui retournaient dans leur arme.

En clair, j’étais viré.

Cet épisode m’a beaucoup appris. J’ai compris que si officiellement nos alliés étaient Américains, et nos ennemis Soviétiques, ce n’était pas le sentiment dominant des militaires des services de renseignement. Je réalisai aussi que si l’armée rouge déferlait un jour sur l’Europe occidentale, le KGB pourrait recruter parmi eux des collaborateurs qui leur donneraient autant de satisfaction que les anciens officiers nazis, reconvertis dans la Stasi.

Mais comme je ne suis pas masochiste, et que je pense que la France et l’Europe ne sont ni meilleures ni pires que les autres pays, j’ai compris aussi que derrière l’officiel de l’Histoire, rabâché par les média, il y a celle dont on ne parle jamais. Les difficultés anglo-américaines valent les tensions franco-américaines ; les alliances contre nature sont souvent le moteur caché des guerres, et la trahison est un jeu qui ne se pratique qu’entre amis.

 

Qu’il me soit permis ici de saluer ceux qui acceptent de s’exposer et d’être sanctionnés pour accomplir leur devoir de professionnel, de citoyen, de soldat ou de croyant.

N’en déplaise à certains.

 

 

extrait de mon livre "le pétrole, enjeu stratégique des guerres modernes" (à commander auprès de l'auteur lui-même)

 

 

 

 

 

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