Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Propos d'un ancien du SDECE
Propos d'un ancien du SDECE
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 29 180
3 mars 2014

L'erreur de Poutine

L'erreur de Poutine.

 

Des personnalités très opposées politiquement (Thierry Meyssan, Aymeric Chauprade, Jacques Miard) se rejoignent pour condamner la révolte ukrainienne, et apporter leur soutien à Vladimir Poutine.

On peut reprocher aux insurgés ukrainiens d'être des « fascistes anti sémites ». on peut leur reprocher aussi d'être des « fascistes à la solde du sionisme ». Mais on ne peut pas leur reprocher les deux en même temps.

On peut reprocher à la révolution ukrainienne d'être illégale, mais alors, les révolutions française, américaine, russe, chinoise (je ne saurais les citer toutes) sont aussi illégales.

Ne soyons pas stupides : pour ceux qui considèrent que le Peuple est souverain (les démocrates en général), la révolution est l'acte par lequel le peuple met fin illégalement au pouvoir d'un régime lorsqu'il estime que celui-ci est devenu illégitime en trahissant la confiance qui lui avait été accordée.

« Il y a la loi écrite, mais il y a aussi la loi cachée » nous dit l'Antigone de Jean Anouilh.

 

Les insurgés de Kiev sont-ils des fascistes ? Cette question déshonore ceux qui la posent. Lorsque le peuple a été massacré cinq fois en 95 ans, par des armées russes et allemandes, lorsque le poids de la dictature est devenu à ce point insupportable que les patriotes en arrivent au point d'affronter avec des pierres et des bouteilles d'essence des « policiers » des forces spéciales qui leur tirent dessus avec des balles réelles, et qu'ils arrivent par leur courage héroïque à les capturer, les désarmer, et même parfois les retourner, ces jeunes qui ont fait au départ le sacrifice de leur vie, marquent leur détermination en proclamant ce que l'adversaire (dans le cas présent les pro-russes) ne pourront pas pardonner. Ces jeunes ignorent vraisemblablement tout du fascisme (d'ailleurs je ne connais pas de fascisme avec un grand F, mais seulement les fascismes allemand, italien, voire espagnol) ; les patriotes qui ont exhibé des références nazies pour combattre des pro-Russes auraient de la même façon brandi des drapeaux rouges frappés du marteau et de la faucille s'ils avaient eu à combattre des oppresseurs du Reich.
Quand on va mourir au combat, on ne cherche pas à se valoriser, mais seulement à faire le plus de mal possible à l'adversaire.

Les jeunes patriotes qui ont réinvesti à mains nues la place Maïdan lundi matin, alors que la police en avait occupé la moitié la veille, en utilisant le mensonge et la ruse, sont des héros. Ceux qui voient en eux des « fascistes téléguidés par la CIA » sont des imbéciles.

 

Pour juger de ce qui se passe en Ukraine de façon objective, il faut suivre la démarche suivante :

A- il faut déterminer où sont les intérêts de chacun.

B- Il faut reprendre l'enchaînement des événements qui ont conduit à la situation présente.

Commençons par le commencement.

 

A- Les intérêts :

  1. pour les Ukrainiens :

  2. Ils ont assisté depuis 1992 à l'émancipation des peuples des satellites de l'ex-URSS. République indépendante, l'Ukraine a assisté à l'amélioration du niveau de vie de ses voisins qui ont rejoint la Communauté Européenne (le revenu moyen par habitant en Pologne est quatre fois supérieur à celui des Ukrainiens). Ils aspirent à des conditions d'existence comparables. A tort ou à raison, ils rendent responsables de leur sous-développement la tutelle qui fait peser sur eux le régime russe, avec la complicité d'une classe politique corrompue.

  3. La Russie :

  4. Elle a assisté au démantèlement partiel de l'ex-URSS, auquel Boris Eltsine a peu réagi. L'arrivée au pouvoir de V. Poutine a changé la donne. Ses prises de position fortes en Géorgie et en Syrie ont été couronnées de succès. Lors de ces deux opérations, Poutine a fait preuve d'un comportement très différent : en Géorgie, il a utilisé la force brutale et l'action rapide, avant d'accepter la médiation occidentale, à partir du fait accompli.

  5. En Syrie, il a fait preuve certes de fermeté, mais aussi de patience et de modération pour permettre aux USA de se désengager sans perdre la face.

  6. Il faut noter que son succès à soutenir la Syrie et l'Iran est lié à l'action de sa flotte en Méditerranée. Cela confirme l'importance stratégique de la Crimée pour la Russie.

  7. Pour le reste, la perte de l'influence de Moscou sur l'Ukraine est évidemment un événement fâcheux, qu'il faut éviter si possible, mais sans doute pas au point de remettre en cause ni la coopération économique avec l'Europe, ni la politique de désengagement des Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe et de l'OTAN (Poutine avait déclaré en 2001 que « la Russie doit intégrer l'OTAN).

  8. pour l'Europe :

  9. un rapprochement avec l'Ukraine serait une victoire morale (Droits de l'Homme, affaiblissement de la Russie et de la menace qu'elle représente malgré tout).

  10. Économiquement, les avantages ne sont pas certains : intégrer un pays un peu en retard a un coût sévère.

  11. Pour les USA :

  12. Leur intérêt est ailleurs. Mais ils ne resteront vraisemblablement pas sans réagir à des massacres russes en Ukraine : leur crédibilité en serait gravement affectée au moment où ils doivent se montrer fermes vis-à-vis de la Chine et de la Corée du Nord en particulier.

 

B- L'enchaînement des événements :

La révolution ukrainienne a eu lieu en décembre 2004 (« révolution orange »). C'est là le soulèvement irréversible d'un peuple qui revendique sa souveraineté. Poutine semble ne pas l'avoir compris, et n'y avoir vu qu'une péripétie qu'il pouvait effacer

Pour ce faire, il a commencé par pousser à la faute Ioulia Timochenko avant de favoriser le retour au pouvoir de Viktor Ianoukovitch, comme premier ministre, puis comme président. La rupture, aussi brutale qu'autoritaire, des accords de coopération qui devaient être signés avec l'UE en début d'année 2014 a fait descendre la population de Kiev dans la rue. Après des semaines de contestation, puis d'émeutes, en pleine période des Jeux Olympiques de Sochi, Ianoukovitch a cru pouvoir venir à bout des manifestants par le mensonge et la ruse : dans un premier temps, il a accepté l'amnistie des manifestants, et a promis de rétablir la constitution de 2004 ; puis, alors que la révolte des insurgés commençait à faiblir, il a donné l'ordre aux forces spéciales d'investir la place Maïdan par la brutalité et la surprise.

Alors que l'Etat-Major de l'armée refusait une intervention militaire, les forces spéciales ont été repoussées de la place Maïdan, des unités ont été capturées, la contestation a gagné tout le pays, des policiers et des autorités de province se sont ralliées (d'autres ont connu la vindicte des émeutiers), le parlement a destitué V. Ianoukovitch, qui s'est enfui, et V. poutine a fait envahir la Crimée.

 

Conclusion :

Poutine et Ianoukovitch ont sous-estimé la profondeur de la révolution orange de 2004. Leur erreur risque de ramener l'Europe en climat de guerre froide. Ceux qui croient qu'on peut y échapper en désavouant les Ukrainiens insurgés ont tort. Soit Poutine comprend qu'après avoir eu raison pour la Géorgie et la Syrie, sur l'Ukraine il s'est trompé, et il en

tirera les conséquences (par exemple en « libérant » l'Ukraine, et en « conservant » la Crimée), soit ce sera la mésaventure.

Le raisonnement de Poutine repose sur l'usage de la force.

Ceux qui croient oeuvrer pour la paix en le confortant dans son attitude belliqueuse se trompent.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité