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Propos d'un ancien du SDECE
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11 novembre 2014

Poutine est-il aux Etats-Unis ce que Kadhafi était à la France?

Poutine est-il aux États-Unis ce que Kadhafi était à la France ?

 

Dans un article paru dans Le Point du 8/11/14, intitulé « le fantôme de la Diplomatie française », Caroline Galecteros déplore que la politique étrangère de la France soit dépendante de celle des États-Unis. Ces derniers, depuis fin 2010 n'affichant pas d'objectifs stables, entretiennent une cacophonie diplomatique déconcertante, y compris chez leurs alliés.

 

Il y a deux manières de concevoir la politique étrangère. Il y a d'abord celle que l'on enseigne à Sciences-Po et à l'ENA. La politique, et la stratégie qu'elle génère, est une activité noble qui provoque le respect.

Et puis il y a celle que pratiquent les grandes hommes d’état, ceux qui maîtrisent les événements. Pour eux, la politique est un jeu de dupes dans lequel ce sont souvent les plus menteurs qui excellent.

 

On ne comprend rien à l'Histoire contemporaine si l'on croit que nos guerres, mondiales ou locales ont été le fruit de l'affrontement de grandes idées : le monde libre contre le communisme, la démocratie contre les dictatures, les puissances coloniales contre les peuples dits « en développement », etc …

 

L'histoire moderne a commencé en 1890 lorsque les frères Nobel ont découvert le formidable gisement pétrolier de Bakou, s'aliénant par cela même l'hostilité de John Davidson Rockefeller, pour qui un concurrent était un ennemi qu'il fallait abattre.

Faute de pouvoir s'immiscer dans les accords des Nobel avec le Tsar, Rockefeller ouvrit des banques à Moscou, où ses hommes d'affaires fréquentèrent l'équivalent du « milieu » moscovite. Là, ils entrèrent en contact avec les bolcheviques qui leur firent entendre une petite musique qui les subjugua : « si nous réussissons la révolution prolétarienne, nous annulerons tous les contrats commerciaux passés avec le tsar ».

Pour les Rockefeller, cela se traduisait par « si la révolution prolétarienne réussit, le contrat de Bakou sera renégociable ». Et les banquiers américains installés à Moscou se mirent à financer à fonds perdus la subversion communiste.

 

La guerre de 14/18 permit à la fois aux bolcheviques de prendre le pouvoir, … et aux USA de participer aux hostilités, suite au retrait de l'armée russe du conflit … ce qui eut deux conséquences capitales pour le suite de l'histoire à la fin de la guerre. D'une part les Américains exigèrent (et obtinrent, à la grande fureur des Britanniques) le droit de prospection pour leurs compagnies pétrolières dans l'ancien empire Ottoman.

D'autre part les Rockefeller négocièrent avec les Soviétiques le rachat des intérêts des Nobel en Russie (qui fut conclu en 1922), ouvrirent la première Chambre de Commerce Américano-Soviétique, financèrent les exportations américaines en URSS, et gérèrent les emprunts soviétiques aux USA (cf. Eric Laurent « La face cachée du pétrole »).

Parallèlement, l'armée de la Russie blanche, privée du soutien financier des Occidentaux, cessa les combats, à la fin de la même année.

 

De ces événements date la longue alliance tacite qui exista entre l'Union Soviétique dès sa naissance, et les Américains. Elle dura pendant la totalité du « règne «  de Staline (et c'est là la raison pour laquelle ce dernier faisait disparaître ses proches collaborateurs  avant qu'ils n'en sachent assez pour comprendre,) et fut rompue par Khrouchtchev qui crût en 1962 que l'URSS était devenue capable d'affronter les USA.

Cet affrontement amena ces derniers à quitter la péninsule indochinoise en 1975, … ce qui provoqua la scission entre Moscou et Pékin et la fin de l'URSS en 1992.

A l'issue de la guerre entre le Vietnam et le Cambodge (octobre 78 à février 79), tandis que la 7ème armée chinoise se livrait à une démonstration de force en envahissant le Tonkin, l'armée soviétique menaça la Chine de l'envahir ; mais elle ne mit pas sa menace à exécution, permettant de deviner la lutte que se livraient en coulisse le GRU (Service de Renseignements de l'Armée, favorable à la guerre) et le KGB favorable au rapprochement avec les États-Unis, suivant les alliances tacites qui avaient permis à l'URSS son développement spectaculaire jusqu'en 1960.

L'ascension de V. Poutine à la tête de l'Etat consacre la réussite de KGB et de son école.

 

Aujourd'hui, les États-Unis sont en danger. Non pas militairement, mais économiquement.

Il faut comprendre que la politique américaine est décidée en premier lieu par les hommes d'affaires ; et ces derniers ne respectent qu'une chose : la loi du marché.

 

Importateurs de pétrole, les États-Unis s'endettaient. L'Europe aussi. Ils ont décidé de procéder à l'exploitation des gaz et pétrole de schiste. Mais, alors qu'un puits traditionnel ne coûte plus rien une fois que le forage a été réalisé, l'extraction des gaz et huiles de schiste est gourmande en énergie : il faut fracturer la roche (pour les premiers), envoyer des liquides sous pression et effectuer des forages rapprochés (donc plus nombreux) ; pour les seconds, il faut chauffer les sables à plusieurs centaines de degrés, filtrer, séparer, purifier …. . Toutes ces opérations sont coûteuses en énergie : pour récolter l'équivalent de 3 litres de pétrole, il faut en consommer un.

 

Conclusion : le pétrole de schiste revient 1,5 fois plus cher que le pétrole naturel.

 

Après la crise de 2008, en 2009, le prix du baril était retombé à 40$ le baril. Le prix de revient du pétrole de schiste se situait donc à un niveau supérieur à 60$, vraisemblablement vers 70$, pour tenir compte des retours sur investissement. Compte-tenu de l'inflation depuis 5 ans, il doit être actuellement proche des 80$.

 

Comment a-t-on fait pour faire varier les coûts de 40$ à plus de 100$ entre 2009 et 2011?

Par les embargos (contre l'Iran) et les guerres (Irak, Libye, Syrie et récemment contre DAECH, et comme cela ne suffisait pas à faire monter les cours en Europe, en Ukraine).

 

Pourquoi, malgré toutes ces guerres, les prix redescendent-ils ?

Parce que les USA étant devenus exportateurs, l'Europe devient le principal client de l'Arabie Saoudite, du Koweït et de la Russie. Il y a donc baisse relative de la demande par rapport à l'offre.

 

Quelles sont les limites du prix du pétrole ?

  • A moins de 70$ le baril, les investissements américains ne seront jamais remboursés. Si les États-Unis font faillite, ils entraînent dans leur suite l'économie mondiale. Il y aura d'abord une série de guerres civiles, avant que tout ne s'embrase dans une guerre généralisée.

  • A plus de 90$ le baril, c'est l'Europe qui est menacée. En cas de faillite, elle entraînera la Chine dans son sillage, et on retrouvera le cas de figure précédent.

 

 

Conclusion :

La paix mondiale se joue autour du prix du pétrole, à 10$ près le baril. Tous les grands producteurs de pétrole le savent, et apportent leur soutien aux USA : l'Arabie Saoudite et le Koweït en soutenant tous les belligérants d'Irak (DAECH et anti DAECH), la Syrie et l'Iran en ayant cristallisé la réprobation et les craintes de l'Europe, et initialisé le conflit depuis 2011, et la Russie, tant par le soutien qu'elle a apporté à la Syrie lorsque Obama et Hollande menaçaient de l'attaquer, qu'en gesticulant de façon décisive lors des événements d'Ukraine, limitant ainsi, contrainte et forcée, sa livraison de gaz et de pétrole à l'Europe.

Cette théorie que je développe ici ne repose pas sur de la politique-fiction. C'est ce qui a régi nos rapports avec Kadhaffi de 1973 à 2010. Pendant cette période « de coopération, qui a connu trois guerres entre la France et la Libye », Kadhaffi nous a permis de sécuriser la moitié de l'Afrique grâce à des pratiques que la morale peut réprouver, mais qui se sont montrées efficaces. Jusqu'à ce que Sarkozy croie judicieux de le faire tomber, pour la plus grande satisfaction des Américains qui venaient d'investir massivement dans le pétrole de schiste, et qui avaient besoin de voir disparaître ce producteur pour faire monter les prix.

 

En fait, la France avait une politique étrangère, avant l'arrivée de nos deux derniers présidents.

Quant aux États-Unis, leur politique planétaire est parfaitement cohérente pour ceux qui savent la décrypter : dans le pays de la Liberté, l'Economie prime sur la politique.

Dans de nombreux domaines, les intérêts américains s'opposent à ceux de l'Europe et de la France. Croire qu'il suffirait de se tourner vers la Russie pour se défendre de la pression de nos alliés d'outre-Atlantique, ce serait ignorer la connivence tacite qui anime les relations des deux grands acteurs de l'entre-deux guerres et de la guerre froide. La solution est ailleurs : il faut d'abord recenser les convergences et les divergences d'intérêts entre la France et l'Europe, entre la France et les États-Unis, entre la France et la Russie, entre l'Europe et les USA, puis entre l'Europe et la Russie.

Ce n'est qu'à l'issue de ce travail que l'on pourra concevoir la stratégie la plus adaptée à la situation présente.

 

La France est le premier pays au monde, en nombre d'instituts de Recherche, sur la politique, la stratégie et les relations internationales ; et elle ne parvient pas à faire émerger « le stratège » qui sache indiquer la voie à suivre.

Est-ce-l'enseignement de ces instituts qui laisse à désirer, ou est-ce les élèves qui les fréquentent qui ne sont pas bons ?

 

 

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